De Profundis : un vrai faux Van Gogh

Le dos du tableau

Depuis que nous avons mis en place une politique contraignante au sujet des demandes d’authentification, d’attribution ou d’expertise, leur nombre a considérablement baissé. Je ne dirais pas que cela me manque – même s’il y a toujours quelque chose de fascinant dans ces démarches, qui sentent souvent le rêve et parfois… l’escroquerie.

 

La personne qui nous a soumis l’image suivante a eu la générosité de faire un don à la Van Gogh Academy, d’en devenir membre et de nous autoriser à publier notre avis, neutre et désintéressé. Qu’elle en soit vivement remerciée. Cela nous permet d’aller toujours plus loin et de faire progresser les connaissances sur la vie et l’œuvre de Vincent van Gogh. Je précise d’emblée que cette personne, et c’est rare, est elle-même convaincue qu’il s’agit d’un faux grotesque. Nous ne savons pas si elle est propriétaire du tableau.

La couleur

Je n’ai pas besoin de regarder ce tableau plus de quelques secondes pour me convaincre qu’effectivement, il ne s’agit pas d’un Van Gogh. Avant même de voir la forme précise des touches, ce qui frappe est le déséquilibre absolu des couleurs. Van Gogh calculait les tons, les valeurs, selon des principes rigoureux, avec une sensibilité extraordinaire. C’est ce qui lui permettait d’obtenir des effets puissants et harmoniques.

 

Il évoquait dans ses lettres la recherche de symphonies de couleurs. Une métaphore qui prend tout son sens quand on se souvient que les couleurs ne sont, au fond, que des longueurs d’onde de la lumière — tout comme les sons sont des ondes perceptibles par l’oreille. Certaines combinaisons visuelles, comme certains accords musicaux, se renforcent mutuellement et produisent une harmonie. D’autres entrent en tension, créant des effets comparables à une dissonance musicale — comme si l’on appuyait sur plusieurs touches voisines d’un piano : une vibration confuse et dérangeante. Le tableau dont il est question ici est le résultat d’une telle confusion. Le peintre a voulu convoquer toute la gamme des tons et couleurs en même temps, produisant un chaos colorimétrique assez épouvantable, à des années-lumière de la pratique et de la méthode cohérente et logique de Van Gogh.

A une remarque qualitative de ce type, on oppose parfois que Van Gogh pouvait avoir un mauvais jour. Un argument que j’utilise aussi lorsque je constate que d’aucuns estiment que tel ou tel tableau de la dernière période de Van Gogh ne saurait être de sa mai sous prétexte qu’il serait mal exécuté – comme si tout ce qui sortait de son pinceau était nécessairement génial. Bien sûr, comme tout le monde, Van Gogh avait de mauvais jours, et ratait parfois ses effets. Mais il ratait en tentant d’appliquer sa méthode, pas en oubliant comment fonctionnaient les ingrédients principaux de sa peinture. Et ce sont ces ingrédients qui sont cruellement absents du tableau présenté ici.

Un probable faux

Nous pourrions nous attarder sur les formes, mais c’est inutile. Tout ce bazar manque de l’énergie juste, de la force maîtrisée de Van Gogh, qui bannit l’hésitation de ses gestes. Rien ne tremble, rien n’est posé à demi comme c’est le cas à peu près partout ici.

 

Le tableau pourrait être l’œuvre d’un admirateur soucieux de suivre, en élève appliqué, les pas de son maître. Mais le toile est signée d’un « Vincent » mou, souligné en rouge. Et même si je tente de rester ouvert d’esprit et d’imaginer des cultures où la reprise d’une signature puisse participer à l’hommage rendu, je crois plus probable qu’en l’espèce, il y a une volonté malhonnête de faire passer un patchwork crétin pour un authentique Van Gogh.

 

Vraiment, on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’écrivait l’illustre Gustave Coquiot, dans Des peintres maudits (1924) : « Il faut décidément — j’y reviens une dernière fois — que les amateurs soient avant tout de sinistres crétins pour qu’on puisse leur faire avaler tant d’attributions erronées, tant de choses croûteuses, falsifiées, sophistiquées ! Car toute peinture bossuée de raclures de palette, des jaunes violents, des rouges vifs, des verts Véronèse, voilà, voilà un Van Gogh ! voilà un Van Gogh de la belle période, de la période d’Arles, s’il vous plaît ! Ah ! la joyeuse curée ! »

 

 

La bêtise des faussaires surprend parfois par sa profondeur. Ici, c’est au dos de la toile qu’elle se manifeste dans toute son abyssale splendeur : on y retrouve, suffisamment effacé pour faire vieux et vrai, une reproduction du faire-part de décès de Van Gogh. Y compris la mention du lieu de la cérémonie, l’Église d’Auvers-sur-Oise, barrée par Theo… Quelle intention se cache-t-elle derrière ce document curieusement apposé, que j’ai déjà vu sur d’autres faux manifestes, alors présenté comme un témoignage d’authenticité ?

Impossible à dire. Mais ce qui est absolument clair, c’est que ce champ de coquelicots qui tente la synthèse entre la Nuit étoilée et une bouillabaisse de paysages niais, n’est pas un Van Gogh.